• Quand la mémoire et l'histoire des morts rejoignent celles du vivant : contribution au développement durable et pluridisciplinaire du territoire verdunois.

    Lire la suite...


    votre commentaire
  • A l’aube du 20ème anniversaire du concept d’un Verdun érigé en emblème mondial de la Paix, le département de la Meuse est en pleine réflexion sur la mémorialisation de la Première guerre mondiale. Ce paradigme, s’il est aussi ancien que la guerre elle-même, est aujourd’hui au cœur de la réflexion scientifique. Comment mémorialiser la Grande Guerre au 21ème siècle ?

    L’enjeu épistémologique s’est considérablement enrichi au cours de la dernière décennie. Il implique une démarche globale et une méthodologie scientifiques pluridisciplinaires appliquées au conflit et à ses traces.

    Recenser

    En amont, il est nécessaire de réaliser un recensement tendant à l’exhaustivité des palimpsestes de la Grande Guerre. Alimentée par un collationnement des sources bibliographiques, archivistiques et iconographique, cette base documentaire concourre à discriminer les éléments utiles à l’avancée scientifique et historiographique de la connaissance de la Meuse en guerre. L’inventaire général de territoire consiste alors à réaliser un état, de corpus considérable, des traces de la Grande Guerre (polémopaysages et leurs traces, y compris souterraines, immobilier, épigraphie, reconstruction et remploi, architecture, etc.), de l’art, mais également de la monumentaire commémorative ou funéraire (plaques, stèles, bornes, etc.) ou de domaines plus transversaux de la choronymie, de l’odonymie, de la flore relique ou obsidionale anthropochore ainsi qu’un état des sources immatérielles.

    Conserver

    La question centrale est celle de la conservation de ces traces. Opposant nécessités économiques et devoir de conservation patrimoniale, le débat se positionne entre aménageurs – ou gestionnaires – du territoire et historiens. Un tel partenariat est constructible sur des bases clairement définies à chacun dans sa sphère d’influence. Ainsi une gestion raisonnée et respectueuse de l’histoire des sites est parfaitement possible, alliant respect patrimonial et vecteurs de développement économique. L’historien, s’appliquant à lui-même un « devoir de pertinence » [1], est un précieux auxiliaire de l’analyse territoriale et garantit outre le respect de l’historicité des sites, l’assise scientifique nécessaire à l’aménagement des « territoires de mémoire ». Son concours est alors indispensable à la sélection, forcément nécessaire, des sites et traces à conserver ou à valoriser. La création du Parc National de Forêt Feuillue de Plaine permettrait d’obvier à cette « centralisation » opportune des démarches tant en la matière il faut éviter le fourmillement souvent constaté d’initiatives reconstitutives hétérogènes parfois dénuées de toute assise scientifique ou historienne pourtant indispensable [2]. Chacun a conscience que toutes les traces de la Grande Guerre en champ public ne peuvent être conservées [3] ou aménagées. Toutefois, en l’absence d’une démarche centralisée d’inventaire et de classification du patrimoine départemental de la Grande Guerre, il est problématique de déterminer les sites et traces d’un remarquable intérêt à léguer aux générations futures.

    Aménager

    Le tourisme de guerre est aussi ancien que la guerre elle-même. Scriba à Metz édite au début du 20ème siècle un Guide à travers Metz et les champs de bataille proposant la visite des traces des combats de 1870 [4]. En 1914, dès la fin de la bataille de la Marne et le recul allemand du 12 septembre, naît un premier tourisme, de curiosité morbide, rapidement interdit par les autorités militaires. Vient ensuite le tourisme de compréhension avant celui, plus communautaire, des poilus-pèlerins qui instituent une transmission mémorielle directe avec leur famille et qui ne s’éteindra qu’avec leur disparition, majoritairement à la fin des années 1980. S’il reste largement ancré dans un passé mémoriel de la sphère familiale, le « tourisme de mémoire » est aujourd’hui devenu un tourisme culturel qui parcourt nécropoles et champs de batailles en quête d’histoire. Aménagement voire reconstitution des lieux de guerre, chemins de mémoire, musées ou centres d’interprétation maillent aujourd’hui l’ancien front d’un dense réseau de structures qui permettent de répondre à l’indubitable attente de ce loisir culturel. Même si la question d’une « trop grande offre mémorielle [5]» peut légitimement être posée, le nécessaire devoir de conservation et de transmission du patrimoine de la Grande Guerre ne saurait se contenter des sites déjà existants. Privilégiant un dégagement et un aménagement minima des sites et traces conservées, il n’est pas opportun de leur appliquer une reconstitution voire une reconstruction forcément dénaturantes. D’autant, et c’est une préoccupation actuelle d’application stricte à préconiser, qu’à ces lieux doit être appliqué sans réserve un traitement archéologique (dégagement stratigraphique, analyse des traces et surtout traitement archéo-anthropologique des découvertes de restes mortels). Conscients de participer à un tourisme vecteur de développement, la présence des historiens dans ce champ économique est toutefois une garantie de ce respect des terres d’Histoire qui sont aussi de vastes nécropoles. La création d’un Parc National en Meuse et l’application de l’ensemble des process interdisciplinaires liés à la création et à la gestion des nouveaux sites de mémoire peuvent permettre de générer « grandeur nature » un vaste laboratoire heuristique à l’échelle mémorielle de ce que fut « Verdun » pour l’Histoire.

    Yann PROUILLET

    EDHISTO
    CRID 14-18



    [1] Terme de Jean-Claude Fombaron in colloque « La Grande Guerre dans les Vosges. Sources et état des lieux. », Epinal, 4 au 6 septembre 2009.

    [2] C’est le cas en matière de certains sentiers de mémoire en Alsace dans les secteurs du Donon (anachronisme terminologique) et du Violu (dénaturation historique par hyper-dégagement des abris de guerre).

    [3] Celles situées sur terrains privés ne bénéficiant d’aucune politique de conservation, nombre de sites remarquables ont déjà été définitivement rayés du patrimoine commun.

    [4] Anonyme, Guide à travers Metz et les Champs de bataille. 3ème édition. Metz, G. Scriba, nd (1908), 32 pages, 2 cartes.

    [5] Serge Barcellini in « La Grande Guerre aujourd’hui. 14-18 dans le monde social », colloque CRID 14-18, Paris, La Sorbonne, 8 novembre 2008, non publié.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique