• La gestion forestière du champ de bataille de Verdun

    Suite aux bouleversements en profondeur du sol engendrés par le conflit, l’Etat achète les terrains et donne à ce champ de bataille le statut de zone rouge. Il confie la gestion de cette dernière à deux opérateurs, le Ministère de la guerre qui l’utilise comme camp d’entraînement et l’administration des Eaux et Forêts dont l’objectif est de boiser ces anciens terrains pour partie agricoles de manière à effacer les meurtrissures du sol. Ce n’est pas sans difficultés que les forestiers vont réussir à implanter en ces lieux une couverture forestière essentiellement composée de résineux du fait de la disparition des anciens horizons forestiers et agricoles. Ainsi, près de trois décennies seront nécessaires pour transformer le champ de bataille en espace forestier.

    Aujourd’hui, plus de 90 ans après la fin des hostilités, de nouvelles problématiques apparaissent quant à ces lieux de mémorialisation sur lesquels ne cesse de se développer le tourisme de mémoire. Depuis une trentaine d’années, l’Office National des Forêts s’est engagé dans la transformation des peuplements ayant atteint leur stade de maturité. Si les premières opérations sylvicoles menées ont été largement décriées du fait de l’atteinte qu’elles portaient aux vestiges par le nivellement des parcelles, le développement de la régénération naturelle adopté ces dernières années est plus respectueux des palimpsestes. Le paysage est alors en pleine mouvance avec la disparition des peuplements résineux au profit des feuillus.

    La création sur ce site chargé d’histoire d’un Parc National de forêt feuillue de plaine revêtirait plusieurs intérêts dans des domaines variés par l’apport d’un statut de protection mais également sur les volets d’animations, de valorisations et d’études qui accompagnent ces territoires. Soucieux de préserver au mieux ces vestiges tout en poursuivant la transformation nécessaire et l’exploitation forestière qui lui incombe, l’Office National des Forêts, dans le cadre de la révision d’aménagement de la forêt domaniale de Verdun (2006 – 2020) a développé un partenariat avec plusieurs services. Ainsi, le Service Régional d’Archéologie, la Direction Régionale de l’Environnement, le Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine et des associations d’anciens combattants ont été consulté de manière à définir les modes d’interventions et les éléments à préserver car il est impossible de tout conserver en l’état. L’absence d’un inventaire officiel recensant l’ensemble des vestiges présents accroît la difficulté à les préserver lors des exploitations. Ce partenariat a abouti aux conclusions suivantes. Les parcelles fortement nivelées sont abandonnées à la production forestière sans prescriptions particulières ; pour les autres, il a été décidé de préserver l’ensemble des vestiges bâtis ainsi qu’une sélection de tranchées représentatives des différentes phases de la bataille. Le linéaire de ces tracés s’étendant sur plusieurs kilomètres et faisant obstacle à l’exploitation forestière, des passages ponctuels y sont tolérés. Ce partenariat a ainsi permis la poursuite de la gestion forestière dans le respect du champ de bataille et du devoir de mémoire. La création du Parc National permettrait d’accentuer la préservation de ces patrimoines, ne serait-ce qu’en supprimant la notion de valeur économique de la forêt. Ainsi nous pourrions poursuivre la réflexion sur les modes d’exploitations respectueux des sols bouleversés, mais aussi développer sur ce territoire un certain nombre d’études liées à l’incidence de la guerre sur la faune et la flore et aux impacts constatés plusieurs décennies après. Enfin, nous pourrions profiter de la transformation en cours pour intégrer les problèmes actuels de réchauffement climatique et ainsi modeler la forêt de demain. Sur le plan historique et archéologique, il conviendrait dans un premier temps de recenser l’ensemble des vestiges présents sur le champ de bataille et d’en établir des typologies, pour ce faire les nouvelles techniques de laser scanning pourraient être utilisées. Des études sur la dégradation dans le temps des vestiges (structures, comblements …) permettraient aux archéologues de connaître l’évolution pour les structures en creux ou en reliefs et ainsi de bénéficier d’informations pour les périodes plus anciennes. De nombreuses études restent à mener sur ce territoire nous permettant également de compléter nos informations sur certains aspects de la vie quotidienne des combattants, mais aussi sur les modes et techniques de construction des ouvrages en comparaison de ce qui se fait actuellement sur le champ de bataille d’Arras (62), ou des fouilles menées à Aspach (68) et Carspach (68).

    Frédéric Steinbach

    Doctorant en géographie humaine et économique – Université de Nancy II

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  • Commentaires

    1
    Raphaël Zachari
    Dimanche 29 Novembre 2009 à 17:19
    "VERRE D'EAU"

     

    On l'appelait ironiquement "Verre d'eau".

     

    Auguste était un vieil ivrogne sans nom.

     

    Hydraté dès le lever avec la pire des piquettes, la matinée se terminait invariablement dans une noyade de tonnerre et de feu, la grosse gnôle prenant vite le relais des p'tits canons...

     

    A travers cette voluptueuse agonie de sa conscience le buveur nageait, tour à tour hilare, hébété, larmoyant, dans ce qui semblait être son véritable élément : un univers sinistre d'amnésie tranchante et de gaité frelatée.

     

    Soixante-cinq ans que cela durait. Une existence entière vouée à l'ivrognerie la plus crasse.

     

    L'on s'étonnait d'ailleurs que "Verre d'eau" fût encore de ce monde après cette longue vie arrosée des pisses de Bacchus.

     

    Mais il était solide l'Auguste ! Faut-il qu'il y ait un Dieu pour les assoiffés sans fond... Il est vrai qu'il avait survécu aux tranchées de la "14". A le voir ainsi, lamentable, abreuvé d'indignité, dégueulant son ivresse, qui l'eût cru ?

     

    Après avoir traversé l'enfer de la Grande Guerre, qu'est-ce qui aurait donc pu l'abattre ? Pour ce passé héroïque on pouvait bien lui pardonner son vice, au vieil Auguste... Son statut de vétéran le maintenait malgré tout en estime dans le coeur de ses concitoyens navrés de le voir chanter ses "gnôleries" du matin au soir.

     

    Lui, ne parlait jamais des tranchées. Soûl à toutes heures de sa vie, comment aurait-il pu tenir une conversation cohérente sur quelque grave sujet ? Même lors des commémorations annuelles, il recevait l'accolade du maire l'haleine chargée de tous les alcools du diable... Se souvenait-il encore au moins de sa jeunesse dans la boue des combats ?

     

    "Verre d'eau" finit par mourir dans un dernier hoquet désespéré dédié à la vigne qui, depuis l'âge de vingt-deux ans, l'avait aidé à vivre.

     

    A oublier surtout.

     

    Il buvait comme un trou depuis l'âge de vingt deux ans... C'était en 1918, la fin de la guerre. Celui que désormais on allait bientôt surnommer malicieusement "Verre d'eau" venait d'être démobilisé. Vingt-deux ans et déjà toute l'horreur des tranchées dans le regard.

     

    Pauvre "Verre d'eau" ! Homme pitoyable, misérable, lamentable, mais surtout âme sensible brisée en pleine jeunesse, nul ne saura jamais son secret d'ivrogne.

     

    On inhuma bien vite le défunt sans famille.

     

    Nul ne sut que ce sobriquet de "Verre d'eau" sonnait aussi juste chez lui, deux syllabes lourdes comme le son du glas, sombres tel le chant fatal de l'airain...

     

    "Verre d'eau" : des sons clairs et sereins si proches des sons de l'enfer. Des sons qui, ironie du destin, rappelaient son drame, poignant.

     

    Car le drame de "Verre d'eau" c'était...

     

    Verdun.

     

    Raphaël Zacharie de IZARRA
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