• Une nouvelle page d'Histoire pour Verdun

    Quand la mémoire et l'histoire des morts rejoignent celles du vivant : contribution au développement durable et pluridisciplinaire du territoire verdunois.

    A l’occasion du centenaire prochain de la bataille de Verdun (2016), la création d’un Parc National de Forêt Feuillue de Plaine in situ pourrait être un bel exemple d’une responsabilité transgénérationnelle assumée. Le paysage et l’écosystème verdunois ont en effet profondément été impactés par la Première Guerre mondiale, désormais qualifiée de « fratricide ». La création d’un Parc National à Verdun pourrait ainsi représenter une chance, pour le Verdunois-Français-Européen d’aujourd’hui, de démontrer sa capacité à réhabiliter ce que l’Europe des nations en guerre a détruit.

            Réhabiliter et non rétablir : dans ce territoire sanctuarisé par la force des choses (zone rouge rendue impropre à l’agriculture), les traces de 14-18 ont fourni des abris au développement d’une faune et d’une flore singulières. Comme dans les fonds marins, où les épaves créent des récifs artificiels propices au développement de la vie sous-marine, les vestiges de la guerre sont devenus des lieux d’accueil pour des micro-écosystèmes uniques. Rendues à la vie civile, certaines zones ont ainsi enclenché une dynamique naturelle spontanée ; d’autres, relativement épargnées par la guerre, ont continué de se développer quasiment sans discontinuité ; beaucoup d’autres enfin ont été remodelées par l’homme, réinvestissant paisiblement les lieux ou les sanctuarisant en un lieu de « cristallisation de la mémoire nationale »[1].

            Après l’offensive ratée d’avril 1917 au Chemin des Dames, en effet, « Verdun reste alors la seule victoire française de la guerre de position »[2] : victoire autant militaire que symbolique[3], elle est d’emblée conçue comme un emblème national. Le classement comme parc national de son patrimoine naturel, culturel et paysager, s’inscrirait ainsi dans une certaine forme de continuité : Verdun est en effet un site d’intérêt national, tant du point de vue du roman national que de celui du patrimoine indissolublement historico-naturel abrité par son territoire. A Verdun, l’on a d’abord célébré l’héroïsme de la ville (sept médailles lui sont remises dès le 13 septembre 1916) et de ses défenseurs, puis ce fut au tour des chefs (et notamment Pétain), puis celui du sacrifice des simples combattants (la quasi-totalité de l’armée française a connu le feu de Verdun). Il manquait la terre elle-même, meurtrie, et la nature reprenant ses droits…

            A Verdun, la France a résisté à l’ennemi d’alors, devenu aujourd’hui son principal partenaire, parvenant à préserver son intégrité sociopolitique au prix du sacrifice de ses soldats et de parcelles de son sol national, offertes au feu des obus. « Verdun, c’est le nom qui domine toute la guerre, celui qui contient toute la gloire »[4], disait André Maginot, alors ministre des pensions, en 1921. « Verdun a bien été le grand combat de la Grande Guerre, comme une sorte de concentré tragique d’une guerre industrielle qui a broyé le combattant. »[5], reprenait en 1996 l’ancien ministre de la Défense, Charles Million. Aujourd’hui, la nature et la forêt renaissantes paraissent d’autant plus apaisées qu’elles étaient hier le terrain d’âpres combats. Un classement de Verdun au titre de Parc National donnerait ainsi une nouvelle dimension à la symbolique verdunoise, hier symbole « de patriotisme, de bravoure et de générosité »[6], puis de victoire et de sacrifice, de ténacité et de mort. Avec la création d’un Parc National de Forêt Feuillue de Plaine, Verdun, tout à la fois historique verrou de la France et creuset de l’Europe (traité de Verdun de 843, bataille de Verdun de 1916, F. Mitterrand et H. Kohl se tenant la main en 1984, etc.), affermirait ainsi sa dimension de symbole de paix et de renaissance, dimension qui pourrait utilement être mise à profit dans des actions de mise en valeur du site, telles que la redéfinition de sentiers d’interprétation vers une plus grande pluridisciplinarité (histoire, écologie, géographie…), etc.

    L’enjeu est de taille pour Verdun, qui devra ainsi concilier son statut traditionnel de lieu de pèlerinage et de mémoire, et celui, ambitieux, de lieu de réflexion et de vulgarisation scientifique (dans une vision pluridisciplinaire conciliant notamment l’histoire et l’écologie) : Verdun, parangon de la bataille défensive, pourrait ainsi devenir le symbole d’une certaine défense globale, incluant la construction et la promotion d’une histoire assumée, construite autour d’une mémoire partagée à l’échelle européenne[7], et d’un développement durable, également attentif aux patrimoines naturel et culturel.

    Julien MARY

    Université Paul Valéry-Montpellier III,
    CRID 14-18


    [1] Antoine Prost, « Verdun », in. Pierre Nora (dir.) Les Lieux de mémoire, Tome II « La Nation », volume 3, Paris, Gallimard, 1986, p. 111.

    [2] Antoine Calagué, « Commémorer un échec ? Le Chemin des Dames au miroir de Verdun », in. Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des Dames : De l’évènement à la mémoire, Paris, Stock, 21004, p. 286.

    [3] Voir Antoine Prost, « Verdun », op.cit., pp. 111-141

    [4] A. Maginot (1921), in. Pierre Servent, Le mythe Pétain, Verdun ou les tranchées de la victoire, Paris, Histoire Payot, 1992, p. 147.

    [5] Charles Million, ministre de la Défense, « Préface », in. SHAT, 1916 : Année de Verdun, Paris, Charles-Lavauzelle, 1996, p. 12.

    [6] Raymond Poincaré, Au service de la France, t. VIII : Verdun 1916, Paris, Plon, 1931, p. 350, in. Antoine Prost, « Verdun », op.cit., p. 116.

    [7] Cf. les rencontres européennes de la mémoire de novembre 2008, la construction d’une mémoire franco-allemande, etc.


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